Quand la justice sanctionne un organisme de protection sociale pour avoir violé les droits d’un de ses collaborateurs, l’affaire retient toujours l’attention. C’est dans cette situation inconfortable que se retrouve, aujourd’hui, l’Unédic, l’association paritaire copilotée par les syndicats et le patronat qui gère l’assurance-chômage. Dans une décision rendue le 4 octobre et passée inaperçue jusqu’à présent, le conseil de prud’hommes de Paris l’a condamnée à verser près de 220 000 euros à un de ses anciens hauts cadres, qu’elle avait congédié.

Le litige concerne Thierry Météyé, qui a dirigé, pendant une vingtaine d’années, le régime de garantie des salaires – souvent désigné sous l’acronyme AGS. Peu connu du grand public, ce dispositif joue un rôle essentiel : il assure le paiement des rémunérations dues aux personnels d’entreprises défaillantes et impécunieuses (liquidation, redressement judiciaire, etc.).

Le fonctionnement de l’AGS est complexe. D’un côté, il y a une association, administrée exclusivement par des représentants patronaux (notamment du Medef), qui assure la gouvernance du système. De l’autre, on trouve un établissement, chargé des opérations concrètes, qui est distinct de l’Unédic tout en étant rattachée à elle par une convention de gestion : c’est la délégation Unédic AGS (DUA), dont M. Météyé a été le patron.

Le différend s’est cristallisé en plusieurs étapes, sur fond d’accusations de malversations. En décembre 2018, M. Météyé – alors âgé de 71 ans – a été mis à la retraite, sa sortie de l’effectif devenant définitive en juin 2019. Mais quelques semaines avant son départ, coup de théâtre : le septuagénaire est licencié pour faute lourde. Dans la lettre qu’elle lui a remise pour justifier cette séparation, l’Unédic invoque des « faits particulièrement graves », qu’elle dit avoir découverts, pour l’essentiel, après la mise à la retraite du cadre, grâce à un audit du cabinet EY sur le fonctionnement du régime.

Plusieurs plaintes

Il est reproché à M. Météyé d’avoir attribué de façon « massive et anormale » des dossiers à une avocate, « cette collaboration s’inscrivant dans une relation très personnelle [entre elle et lui] ». Le directeur est également incriminé pour avoir recouru à des prestations de communication réalisées par une société dont les dirigeants entretiennent des « relations extraprofessionnelles et amicales » avec lui – le tout étant assorti de « faveurs » (embauche de sa fille par la société en question). Enfin, M. Météyé est accusé d’avoir transgressé, plusieurs fois, les règles sur l’engagement des dépenses et sur les frais de déplacement (nuitées à l’hôtel et repas trop coûteux).

Toutes ces « anomalies » ont d’ailleurs conduit l’Unédic et le Medef à déposer des plaintes, en plusieurs phases durant l’année 2019, pour prise illégale d’intérêts, abus de confiance, corruption active et passive, faux et usages de faux, etc.

L’ancien directeur de la DUA s’est, lui aussi, tourné vers la justice pour contester la rupture de son contrat de travail. En référé, la cour d’appel de Paris lui a donné raison, dans un arrêt prononcé en février. Devant les prud’hommes, saisis au fond, il vient également d’obtenir gain de cause. Cette juridiction a considéré que le licenciement de M. Météyé était « privé d’effet » car il intervenait après sa mise à la retraite, décidée par l’Unédic.

Durant l’audience, l’avocat de l’association paritaire, MFrédéric Benoist, avait tenté de prouver que la mise à la retraite était nulle car le patron de la DUA l’avait obtenue grâce à des « manœuvres dolosives » (par exemple en disant à des collègues et à des élus du personnel qu’elle était acquise, alors que ce n’était pas le cas). Mais les juges prud’homaux ont écarté cet argument, estimant qu’il ne reposait sur aucun élément tangible.

Confirmant la décision en référé de la cour d’appel de Paris, le conseil de prud’hommes a condamné l’Unédic à verser à M. Météyé un peu plus de 191 600 euros, « à titre d’indemnité de départ à la retraite ». S’y ajoutent près de 850 euros d’indemnité compensatrice de préavis et environ 2 385 euros de congés payés afférents. MBenoist indique que sa cliente a interjeté appel.

Parallèlement, la procédure pénale, qui avait démarré en 2019 au sujet des dysfonctionnements dans la DUA, se poursuit. Une nouvelle plainte, avec constitution de partie civile cette fois-ci, a été déposée en juin de cette année, notamment par l’Unédic : elle a débouché sur l’ouverture d’une information judiciaire. A ce stade, aucune mise en examen n’a été notifiée, selon nos informations. Sollicité par Le Monde, M. Météyé maintient que toutes les allégations contre lui sont infondées et affirme qu’il en a fait la démonstration, lorsqu’il a été auditionné fin 2020 par un officier de la brigade financière.

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