Faire des propositions « pour adapter le système juridictionnel français aux enjeux économiques et juridiques internationaux contemporains ». Tel était l’objet de la mission confiée par le ministère de la Justice au Haut Comité juridique de la place financière de Paris et qui a donné lieu, en mai 2017, à la remise d’un rapport préconisant la mise en place à Paris de chambres spécialisées pour le traitement du contentieux international des affaires. Et c’est ainsi que, le 7 février 2018, deux protocoles de procédure signés par le barreau de Paris ont officiellement institué ces chambres commerciales internationales, l’une au tribunal de commerce de Paris, l’autre à la cour d’appel.

Renforcer l’attractivité de la place de Paris

Initié dans le contexte du Brexit, le dispositif vise avant tout à renforcer l’attractivité des juridictions commerciales de la capitale en proposant, à côté des centres d’arbitrage, des chambres spécialisées dans le traitement du contentieux international des affaires. Et tenter ainsi de concurrencer la place de Londres à l’heure où, du fait de la sortie du Royaume-Uni, les décisions des juridictions britanniques ont perdu le bénéfice de la reconnaissance et de l’exécution automatique au sein de l’Union européenne. D’autres places européennes ont créé ou envisagé de créer à cette même époque de nouvelles juridictions spécialisées pour attirer une part du contentieux du commerce international. La Chamber for International Commercial Disputes a ainsi vu le jour à Francfort en janvier 2018 et la Netherlands Commercial Court à Amsterdam en janvier 2019. En Belgique, un projet de loi portant création de la Brussells International Business Court introduit en 2018 a finalement été abandonné.

Des protocoles procéduraux sur mesure

Les chambres commerciales internationales de Paris ont vocation à traiter le contentieux international des affaires : contrats commerciaux, rupture de relations commerciales, concurrence déloyale, réparation à la suite de pratiques anticoncurrentielles, litiges en matière de transports, d’opérations sur instruments financiers, de conventions-cadres de place… Leur compétence peut résulter d’une clause attributive de compétence territoriale. Outre les appels des décisions de la chambre internationale du tribunal de commerce de Paris, la chambre internationale de la cour d’appel est également compétente pour connaître des recours en annulation et en exécution contre les décisions d’arbitrage international.

Établis à droit constant, les protocoles de procédure auxquels les parties peuvent adhérer devant ces chambres exploitent plusieurs des possibilités offertes par la procédure civile mais non utilisées. À commencer par la possibilité pour les parties d’utiliser l’anglais dans les débats et de communiquer des pièces en anglais sans avoir à les traduire. Les actes de procédure sont rédigés en français, quel que soit le droit choisi, de même que les jugements et les arrêts, accompagnés d’une traduction jurée en anglais. Autre particularité : la possibilité de procéder à des interrogatoires croisés de la partie adverse, des témoins et des experts selon le principe de la cross-examination et de former des demandes de production forcée de documents. Enfin, toujours sous réserve de l’adhésion au protocole, les parties sont amenées à fixer avec le juge un calendrier impératif de procédure dès les premières audiences. Il s’agit ainsi d’une procédure largement inspirée de celles en vigueur dans des chambres d’arbitrage international et des juridictions de common law.

Quel impact sur l’activité de la chambre internationale du tribunal de commerce ?

Créée en 1995, la chambre internationale du tribunal de commerce de Paris est le premier maillon de ce dispositif. Elle compte aujourd’hui neuf juges, disposant chacun d’au moins trois ou quatre ans d’expérience au tribunal de commerce. Lui sont attribuées en priorité les affaires qui comprennent un élément d’extranéité. S’il est possible, depuis 2018, d’utiliser l’anglais dans les débats, les parties choisissent le plus souvent un avocat francophone – parfois accompagné d’un avocat étranger – et les plaidoiries d’avocat en anglais sont rares. Il est en revanche plus fréquent que les parties et les experts s’expriment en anglais.

Quel impact ont eu la mise en place de protocoles et la création d’une chambre internationale à la cour d’appel de Paris sur l’activité de celle du tribunal de commerce ? « La signature des protocoles a attiré l’attention sur les chambres internationales, notamment celle d’avocats et de cabinets anglo-saxons », répond le président de la chambre internationale du tribunal de commerce de Paris, Christian Wiest. Et depuis, « de plus en plus d’avocats demandent à ce que leur affaire soit confiée à la chambre internationale du tribunal lors de l’assignation et de plus en plus de parties adhèrent au protocole ».

Mais si la chambre semble avoir gagné en notoriété, cela n’a pas eu d’impact sensible sur le volume des affaires traitées. « En 2021, la chambre a traité environ 400 dossiers dont 200 affaires internationales, ce qui correspond au volume habituel pour les affaires internationales. » Sur ces 200 décisions, « la moitié concerne le contentieux général – des contrats, principalement –, 10 à 15 % portent sur des incidents – les questions de droit applicable et de compétence sont portés devant cette chambre – et le reste concerne beaucoup d’affaires en droit des sociétés, de rupture brutale des relations commerciales, d’assurances, de distribution, d’économie numérique… »

Peut-on dire que Paris fait aujourd’hui davantage concurrence à Londres sur le contentieux international des affaires ? « Je n’ai aucun exemple d’affaire qui aurait été déplacée de Londres pour être jugée à Paris. Mais certaines affaires – de grosses affaires avec des enjeux importants – qui auraient peut-être été jugées ailleurs, et notamment aux États-Unis, sont venues à nous en raison du protocole de procédure. » Quid des clauses attributives de compétence désignant la chambre commerciale internationale de Paris ? « Je n’en ai encore jamais vues, et je pense que c’est de toute façon encore un peu tôt » pour que de telles clauses insérées dans des contrats soient activées.

187 affaires au rôle de la nouvelle chambre de la cour d’appel

La chambre commerciale internationale créée à la cour d’appel de Paris est le second maillon du dispositif. Elle traite les appels de la chambre internationale du tribunal de commerce de Paris, ainsi que les recours contre les sentences d’arbitrage (jusqu’alors traités par la chambre 1.1). Instituée en février 2018, elle n’a véritablement démarré qu’en septembre 2018, le temps de constituer l’équipe des conseillers. Celle-ci compte trois juges, un poste de juriste assistant et une greffière – qui maîtrise plusieurs langues étrangères dont l’anglais. « Un juge spécialisé d’une autre de pôle économique peut venir compléter la formation de jugement sur des dossiers particuliers », précise le président de la chambre, François Ancel, après avoir rappelé que la cour d’appel de Paris compte douze chambres autres spécialisées en droit économique.

Président de la chambre depuis septembre 2018, François Ancel était précédemment président de la troisième chambre du tribunal judiciaire de Paris, compétente en matière de propriété intellectuelle. Ancienne avocate, Fabienne Schaller a notamment exercé à la chambre des délits économiques et financiers complexes du tribunal judiciaire de Paris, avant de rejoindre la cour d’appel de Paris où elle s’est spécialisée en droit des transports, de la concurrence, des contrats commerciaux et des ruptures brutales, puis de devenir juge assesseur à la nouvelle chambre commerciale internationale. Ancienne avocate également, Laure Aldebert a notamment été vice-présidente de la troisième chambre du tribunal judiciaire de Paris, spécialisée dans le contentieux de la propriété intellectuelle, avant d’être nommée conseillère à la chambre commerciale internationale de la cour d’appel de Paris.

En mars 2022, 187 affaires étaient inscrites au rôle de la chambre, dont environ 60 % concernent des sentences arbitrales. Les affaires traitées impliquent à 75 % des plaideurs ressortissants de la zone Europe (Russie et Ukraine comprises) et à 25 % de pays non européens. Depuis sa création, la chambre a été sollicitée par des plaideurs issus de 73 pays. Comme en première instance, les parties sont généralement représentées par des avocats francophones (dont des avocats d’origine anglo-saxonne parlant très bien français), parfois accompagnés d’avocats étrangers. Les plaidoiries en anglais sont possibles, mais « il n’y a pas de demande pour cela aujourd’hui », reprend le président François Ancel. En revanche, « nous avons des auditions de parties et d’experts en anglais ».

Alors qu’au départ tous les dossiers étaient orientés vers la chambre par le greffe, désormais « des avocats demandent à ce que le dossier soit orienté vers la chambre parce qu’ils la connaissent », poursuit le magistrat. Pour cela, « il suffit qu’ils indiquent pourquoi ils veulent que l’affaire soit traitée par la chambre internationale ». Pour ce qui de l’adhésion au protocole, « au début, les parties se méfiaient un peu parce que c’était tout nouveau, mais maintenant elles adhèrent au protocole dans la majorité des cas ».

Un protocole de procédure « suffisamment souple pour s’adapter aux spécificités des dossiers », observe-t-il. Pour en faciliter encore l’appropriation, un guide pratique de procédure bilingue, commun aux deux chambres et élaboré des magistrats et des avocats, est accessible en ligne depuis novembre dernier. « Le protocole laisse beaucoup de liberté et renvoie souvent au code de procédure civile », explique-t-il. C’est pourquoi le guide rassemble en un même document les dispositions issues du code de procédure civile et celles des protocoles de procédure applicables devant les chambres.

Continuer de cultiver ses atouts

La création d’une nouvelle chambre spécialisée en appel et de protocoles ad hoc inspirés des procédures anglo-saxonnes a-t-elle permis d’atteindre les objectifs visés en termes d’attractivité de la place de Paris ? « Je crois que l’on est dans une très bonne voie pour cela. Et avec 187 affaires au rôle, je pense que l’on peut dire qu’il y avait un besoin et que la création de cette chambre répond à ce besoin. » Reste que, outre la présence à Paris d’un barreau d’affaires international et le coût très modéré des procédures françaises – une centaine d’euros au tribunal de commerce, 225 euros par partie en appel, quel que soit l’enjeu du litige –, la place de Paris doit sans nul doute continuer de cultiver d’autres atouts pour attirer le contentieux international des affaires, voire ravir une partie de l’activité juridictionnelle commerciale de Londres.

Le fait de disposer d’équipements technologiques modernes en fait partie. Pendant la crise sanitaire, les juges du tribunal de commerce de Paris ont pu assurer la poursuite de l’activité grâce notamment à la tenue d’audiences par visioconférence. À la chambre internationale, par exemple, « nous avons tenu une audience de trois heures entre Paris, les États-Unis et le Japon, avec traduction simultanée français japonais », raconte le président Christian Wiest. « Le demandeur était américain, le défendeur japonais et le litige portait sur une filiale française. Les parties étaient tout à fait satisfaites du déroulement de l’audience. » À compter de septembre prochain, le tribunal de commerce de Paris va disposer « d’une salle spécialement équipée pour l’organisation de visio-audiences, avec des cabines de traduction simultanée comme il en existe à la CJUE ». À la cour d’appel de Paris, François Ancel aimerait que la chambre internationale puisse elle aussi « disposer d’une salle équipée avec tous les moyens offerts par les nouvelles technologies, comme celle prévue au tribunal de commerce ». Cela « fait partie de l’offre de service aux parties et c’est important », dit-il.

L’émergence d’un office de juge de chambre commerciale internationale

Mais le principal enjeu reste « l’émergence d’un office du juge de chambre commerciale internationale en France », poursuit le magistrat. Car le premier vecteur d’attractivité d’une juridiction demeure la qualité de ses juges, la doctrine et la jurisprudence. D’où « la volonté de la place de Paris de spécialiser des magistrats professionnels et non professionnels » et « le choix de magistrats légitimes » aux postes de conseillers à la chambre internationale.

Pour mieux faire connaître sa chambre commerciale internationale, ses juges et sa jurisprudence, la cour d’appel de Paris y consacre plusieurs pages sur son site Internet. Présentation de la chambre (en français et en anglais et, depuis l’an dernier, en espagnol, allemand et chinois) des profils et des parcours des juges, du protocole et du guide pratique d’application, publication des décisions rendues et de résumés de celles-ci en français et en anglais, et pour certains en espagnol, allemand et chinois, calendrier des audiences, statistiques d’activité… « Cela traduit notre volonté de montrer comment nous travaillons », explique-t-il. « Nous appliquons des standards internationaux pour la rédaction des décisions, avec des paragraphes numérotés, nous rédigeons et traduisons les résumés des décisions, qui sont très vite mis en ligne… Cela représente un très gros travail pour les magistrats, mais la création d’un office de juge international en France était un des grands objectifs de la création de la chambre. »

Après Paris, Versailles

« La seule fragilité de ces protocoles, c’est qu’une autre juridiction peut s’en saisir », relève-t-il. « Une autre cour d’appel peut décider de spécialiser une chambre, ce qui serait légitime, mais je pense qu’il y aurait une réflexion à avoir pour assurer une politique cohérente en termes d’attractivité des juridictions. » Fin 2019, le président du tribunal de commerce de Nanterre a ainsi signé avec le bâtonnier des Hauts-de-Seine un protocole, très similaire à celui du tribunal de commerce de Paris, pour formaliser la création d’une chambre du contentieux international. Il s’agissait en réalité de recréer, dans la perspective du Brexit, une chambre spécialisée qui avait déjà existé à Nanterre, puis disparu. Et fin 2020, le premier président et le procureur général de la cour d’appel de Versailles ont signé avec le barreau des Hauts-de-Seine un protocole, très similaire à celui de la cour d’appel de Paris, organisant la procédure devant une chambre commerciale qui a vocation à traiter les litiges du commerce international. Le département des Hauts-de-Seine compte un grand nombre de sièges d’entreprises qui ont des activités avec l’étranger.

Qui, pour faire la promotion du dispositif ?

Faudrait-il lancer des actions pour assurer la promotion des chambres commerciales internationales de Paris ? Si les deux présidents de chambre et certains des juges participent à de nombreux colloques et évènement en France et à l’étranger pour présenter et parler de ce dispositif, il leur est difficile d’en assurer le marketing. « En tant que magistrats, nous devons garder une certaine distance dans la mesure où nous jugeons ces affaires », rappelle François Ancel. Vanter les atouts d’une juridiction, « cela relève davantage du rôle des barreaux que celui des magistrats », ajoute-t-il. Peut-être le Haut Comité juridique de la place financière, qui a préconisé la mise en place de ce dispositif, a-t-il de nouvelles propositions à faire pour donner un nouvel élan à ces chambres désormais bien installées. Un groupe de travail a en effet été constitué au sein du Haut Comité pour dresser un premier bilan et proposer des pistes d’amélioration. Son rapport devrait être publié prochainement.

 

Audience en anglais à la cour d’appel de Paris

Un grand nombre de salles d’audience ayant été réquisitionnées pour le procès des attentats du 15 novembre 2015, c’est une petite salle sombre qu’est provisoirement installée la chambre commerciale internationale de la cour d’appel de Paris – la chambre 16 du pôle 5. C’est là que s’est tenue, le 17 mai 2022 dans l’après-midi, l’audition d’un homme d’affaires allemand dans une affaire qui l’oppose à un groupe multinational originaire d’outre-Rhin également. Ce dernier conteste la validité d’une sentence rendue à Moscou en 2019 par un tribunal arbitral et qui condamne le groupe à verser 49 millions d’euros, plus les frais de justice, à son ancien partenaire commercial en Russie. Plusieurs procédures sont actuellement en cours dans différentes juridictions où l’homme d’affaires demande à faire exécuter la sentence. En France, une ordonnance d’exequatur a été rendue. La chambre commerciale internationale a été saisie d’un recours aux fins d’obtenir l’infirmation de cette ordonnance pour divers motifs – et notamment que le tribunal arbitral se serait déclaré à tort compétent.

Acceptée par le conseiller de la mise en état, l’audition de l’homme d’affaires devant la chambre commerciale internationale s’est déroulée entièrement en anglais. Après s’être d’abord exprimé librement pendant une dizaine de minutes, il a répondu aux questions des avocats et de la cour, formulées en anglais elles aussi. Il était représenté par un avocat spécialiste de l’arbitrage et inscrit aux barreaux de Paris, New York et de l’Ontario (Canada), accompagné par un avocat allemand, qui n’est pas intervenu lors de l’audience. Le groupe allemand était représenté par deux avocats du bureau de Paris de Clifford Chance, venus accompagnés par deux avocats allemands du groupe. Les parties se sont mises d’accord sur le fait de joindre au procès-verbal de l’audience une transcription de l’audition réalisée par une sténo-dactylographe, présente à l’audience.

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