À la tête du tribunal de commerce de Draguignan, qu’il préside depuis décembre 2020, François Mortini fait le bilan de l’année passée et dresse un portrait économique du territoire plutôt favorable. Mais le Dracénois insiste sur ce point:
« La priorité, c’est la prévention. Ce n’est pas nouveau, mais c’est encore plus vrai dans le contexte actuel. »
Après un nombre historiquement bas de procédures collectives enregistré en 2020, vous vous attendiez à un boom en 2021. Cette crainte s’est-elle avérée?
Non seulement l’augmentation attendue ne s’est pas réalisée, mais le nombre de procédures collectives (sauvegardes de justice, redressements et liquidations judiciaires) a encore diminué puisque nous en comptons 106 pour l’année 2021, contre 130 en 2020 et 226 en 2019. C’est une baisse historique, nous n’avions jamais vu ça. Sur ces 106 procédures, 76 sont des liquidations directes et 30 des redressements judiciaires.
Cette situation peut sembler paradoxale au vu du contexte sanitaire. Comment l’expliquer?
C’est paradoxal, en effet. L’an dernier, comme beaucoup, je pensais qu’en 2022 nous aurions tourné la page de cette crise sanitaire. Mais ce n’est pas le cas et le législateur, ainsi que l’administration fiscale, ont encore repoussé les échéances de paiement des sommes dues par les entreprises. Par exemple, l’Urssaf a levé les appels de cotisations pour les travailleurs indépendants durant une année et projette aujourd’hui de les étaler sur une durée de vingt-quatre mois à compter de février 2022. D’autre part, la majorité des demandes d’ouverture de procédure étaient à l’initiative de l’Urssaf qui, depuis des mois, n’assigne plus et laisse perdurer des situations qui ne sont pas saines. Enfin, les prêts garantis par l’état, énormément sollicités par les entreprises dès le début de la crise, devaient être amortis au terme d’une année. Là aussi, cela a été repoussé et l’on parle désormais d’une échéance à juin 2022. Et les entreprises en difficulté de trésorerie auront, afin d’éviter un dépôt de bilan, la possibilité de solliciter un amortissement sur dix ans, avec les garanties assorties de l’état. Voilà qui réduit les risques de cessation de paiements et, donc, les procédures collectives.
« C’est une bombe à retardement »
Redoutez-vous un effet « bombe à retardement »?
Assurément. C’est une bombe à retardement, ni plus ni moins. Les entreprises ont pris l’habitude de fonctionner en mode dégradé, avec des charges minorées. Mais lorsque ces dernières seront à nouveau appelées, cela risque de faire mal. Je redoute effectivement la suite.
Vos missions ne se limitent pas au contentieux. Vous avez également un rôle préventif à jouer. L’exercez-vous comme vous l’entendez?
Il faut le reconnaître, je suis très peu sollicité pour les préventions. Les entreprises n’anticipent pas les échéances à venir. Il faut dire aussi que l’action du tribunal de commerce est pénalisée par le fait que la majorité d’entre elles ne déposent pas leurs comptes dans les délais impartis, c’est-à-dire au plus tard six mois après la clôture de l’exercice. Résultat: cette année encore, nous n’avons toujours pas de visibilité concernant la santé financière des entreprises créées en 2021. Par conséquent, nous ne pouvons intervenir pour saisir les entreprises et vérifier s’il y a des dommages collatéraux. Et pourtant, en termes de prévention, les outils mis à disposition des débiteurs ne manquent pas.
« L’amiable est préférable au contatieux »
Quels sont-ils?
Nous avons, d’une part, le mandat ad hoc, qui permet de solliciter de façon confidentielle un mandataire, alors missionné pour résoudre un conflit avec un créancier principal. Et d’autre part, la conciliation, qui reste un vœu pieux car il est souvent difficile de réunir les parties concernées. Vient s’ajouter aujourd’hui la procédure de traitement de sortie de crise, instaurée par le législateur le 31 mai 2021. Autrement dit: sur la seule demande du débiteur, et en présence du procureur de la République, cette mesure permet de bénéficier d’une mesure de redressement judiciaire accélérée, et une sortie de crise en trois mois maximum contre une année pour un redressement classique. Pour finir, au-delà du fait que nous travaillons avec beaucoup d’associations satellites telles que l’Aide psychologique pour les entrepreneurs en souffrance aiguë, nous disposons au sein du tribunal d’une équipe dédiée à la prévention, composée de moi-même et de deux juges. Sur rendez-vous, et sous le sceau de la confidentialité, notre mission est de recevoir, écouter et prévenir. En 2021, seulement dix-huit entreprises ont spontanément fait appel à nous. Soit moitié moins que les années précédentes.
Pourquoi une telle réserve vis-à-vis de la juridiction consulaire?
Par méconnaissance de notre fonctionnement, je pense, mais aussi à cause de la mauvaise communication faite à ce sujet par l’administration fiscale. Et, dans certains cas, la peur du tribunal, qui renvoie à une image négative. Alors qu’en réalité, la prévention et les solutions amiables qui l’accompagnent sont toujours préférables au contentieux qui, lui, n’est jamais une bonne publicité pour le débiteur.
Vos perspectives pour la suite?
Sans pour autant être enthousiaste, je reste confiant car la situation économique du territoire est loin d’être catastrophique. Mais pour maintenir un climat favorable au développement, nous devons de notre côté faire preuve de rigueur et de disponibilité. Et les chefs d’entreprise devront aussi prendre leurs responsabilités. Car nous sommes là pour administrer une bonne justice et cela implique forcément de reconnaître, à un moment donné, ceux qui ont anticipé et ceux qui ne l’ont pas fait. La bienveillance a ses limites.
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