Des assistants parlementaires de la députée Sira Sylla (LREM) dénoncent son management « abusif ». Deux affaires sont d’ailleurs en cours aux Prud’hommes la concernant.
Des assistants parlementaires de la députée Sira Sylla (LREM) dénoncent son management « abusif ». Deux affaires sont d’ailleurs en cours aux Prud’hommes la concernant. (©Archives Le Journal d’Elbeuf)

Un député est très souvent accompagné de plusieurs assistants parlementaires. Leur rôle : aider son député dans différentes tâches. Que ce soit dans sa circonscription ou à l’Assemblée nationale, à Paris. Conseiller technique, politique ou administratif, l’assistant parlementaire a un rôle majeur durant le mandat du député. Ce dernier est d’ailleurs leur employeur et le lien hiérarchique entre l’assistant et le député est très clair du point de vue juridique.

Mais parfois, la relation professionnelle se grippe. C’est le cas dans le bureau de la députée de la 4e circonscription (l’agglo d’Elbeuf, Grand-Quevilly, Grand-Couronne, Moulineaux, La Bouille, Sahurs, Canteleu, Maromme, Hautot-sur-Seine, Saint-Pierre-de-Manneville et Val-de-la-Haye) de la Seine-Maritime, Sira Sylla. Depuis son élection, elle a « usé » 17 collaborateurs minimum. En moyenne, d’après nos calculs, un député travaille avec trois à six assistants, en tout, le temps d’un mandat. Au moins quatre d’entre eux ont eu des arrêts maladie liés au travail. Si un responsable politique local la surnomme « le supermarché des collabs », ce ne semble pas être tout à fait un hasard.

Des milliers de SMS « abusifs »

Mais ici, la relation professionnelle s’est grippée de manière si grave, que trois assistants parlementaires (deux anciennes et un actuel) de la députée Sira Sylla (LREM) ont décidé de saisir le tribunal des prud’hommes.

« Ce sont des mails, des SMS dans la nuit. Des menaces, des messages insultes », détaille Martin (*tous les prénoms ont été modifiés). Il agite avec fébrilité trois énormes classeurs qui regroupent toutes les preuves d’un, d’après lui, « harcèlement moral ». Un « harcèlement » qui l’a poussé à porter son histoire aux prud’hommes. « J’ai compilé 2 000 SMS abusifs », présente-t-il avec un léger vertige.

Un calvaire qu’il a vécu durant deux ans et demi. « Parfois, elle appelait mon père en pleine nuit quand je répondais pas. » Ces messages nocturnes, Martin en compte des milliers. « C’était pour me dire que je la trahissais. Qu’elle ne pouvait pas me faire confiance. Que je faisais mal mon travail », déroule-t-il. Des textos qui arrivaient toujours sur son portable autour de minuit.

Briser le couvre-feu pour du champagne

« Elle m’a forcé à ne pas respecter le couvre-feu pour que je lui apporte du champagne. Et si je refusais, elle m’en faisait alors baver », se souvient Martin. La dépression guette. « Je n’avais plus du tout confiance en moi. Je devenais froid et distant avec mes proches ». Martin est allé consulter un psychiatre qui a d’ailleurs attesté que son état était directement lié aux pressions inimaginables qu’il subissait au travail. « J’ai un choc post-traumatique ; Je ne suis pas prêt de m’en remettre. » En arrêt maladie actuellement, il a décidé de saisir les prud’hommes et attend désormais la décision de ce tribunal.

Mais Martin n’est pas un cas isolé. Nous pouvons aborder, par exemple, le témoignage de Marie. Elle aussi, assistante parlementaire de Sira Sylla. « J’ai travaillé sept mois avec Sira Sylla. Et au début, elle était géniale », nous raconte cette ancienne assistante parlementaire qui a quitté le milieu depuis. « Elle transpirait l’image de quelqu’un bien mieux que tout le monde », Marie s’engage alors avec enthousiasme pour cette députée issue de la société civile et promesse d’une nouvelle manière de faire de la politique. Puis, « j’ai commencé à recevoir des messages à 4 h du matin dès la deuxième semaine de contrat. Elle me disait qu’il fallait que je change la disposition du bureau, que ça n’allait pas. » La spirale a fini par faire perdre pied à Marie. « J’ai craqué petit à petit. Un jour, elle me disait que j’étais nulle, et le lendemain que j’étais la plus belle. Puis, elle était colérique. Une nuit sur deux, je recevais des messages déplacés. J’ai fini par craquer. J’ai compris qu’elle allait me détruire. » « Pendant ces sept mois, elle a réussi à me faire douter de mes compétences. Je n’ai pas eu de répit. J’étais moralement épuisée. »

Le précédent exemple aux prud’hommes

Martin qui est dans l’attente de la décision des Prud’hommes peut penser à l’exemple d’une autre collaboratrice de Sira Sylla à laquelle ce tribunal a donné entièrement raison – tout du moins pour le moment. Dans le compte rendu de justice que Le Journal d’Elbeuf a consulté, cette collaboratrice (qui souhaite rester anonyme) est gagnante sur les trois points soulevés lors de sa procédure. À savoir : le harcèlement moral, les heures supplémentaires non payées et le licenciement sans cause réelle. L’ancienne assistante parlementaire a notamment été aidée par pas moins de dix-neuf témoignages qui corroborent ses propos. En tout, le conseil des Prud’hommes a jugé que Sira Sylla devait verser des milliers d’euros à son ancienne employée. À noter que la députée a fait appel de cette décision.

« Elle souhaita une bonne mort à mon grand-père »

On peut encore citer l’expérience de Faouzi, un collaborateur qui était là depuis le début. Dès l’élection de la députée en 2017. Ici, c’est l’aspect « manipulateur » qui ressort. Il raconte, par écrit : « elle [Sira Sylla N.D.L.R.] me chargea de lui commander avec les services de l’Assemblée [Nationale] un téléphone portable. Elle m’invita à m’en prendre un mais à ne pas le dire à mes collègues. Ces derniers m’apprendront qu’elle leur a dit que j’avais réalisé l’opération sans lui en parler, la mettant devant le fait accompli. » Mais ça ne s’arrête pas là : « Je devais refaire le travail fait par mes collègues car ils n’étaient pas « capables ». La députée, ne manquait jamais de souligner la puanteur de tels collaborateurs, les difficultés d’un autre… »

Un dernier élément du témoignage de Faouzi est très évocateur : « Sur la fin de ma période avant mon licenciement, mon grand-père fut admis à l’hôpital. Ne parvenant à joindre la députée, je lui notifie mon départ pour aller à l’hôpital. […] La députée m’appela le soir même pour me signifier mon licenciement au milieu d’un torrent d’insultes et souhaita une bonne mort à mon grand-père avant de raccrocher. À l’issue de cela, les autres collaborateurs eurent interdiction d’entrer en contact avec moi. »

Si les témoignages sont multiples, nous pouvons aussi évoquer l’histoire de Chloé. Chloé était également l’assistante parlementaire de Sira Sylla, il y a trois ans. Elle n’a travaillé que quelques mois pour l’élue de Seine-Maritime pourtant, on remarque qu’elle a subi des faits similaires que Martin ou Marie. « J’ai fait une dépression après coup. Le boulot m’a totalement atteinte », lance-t-elle. « J’ai eu des SMS à 2 ou 3 heures du matin. Un jour, elle était de super bonne humeur, elle nous disait qu’on était géniaux, elle nous appelait ses « gazelles ». Puis, après on était les « pires feignants », qu’elle en avait « marre de nous ». Elle faisait aussi des insinuations déplacées, lunaires. J’ai déjà récupéré des collègues en larmes… »

Un « traumatisme », un « dégoût »

Chloé parle de « traumatisme », mais aussi du « dégoût » dans l’engagement politique. « J’ai cru que je n’avais plus aucune compétence. Je ne voulais plus travailler. » Finalement, malgré les menaces, elle décide de quitter Sira Sylla. À noter qu’elle a pu retrouver un travail auprès d’un autre député.

Mais ça ne s’arrête pas là. Un élu issu de la majorité gouvernementale et de la circonscription nous confie également qu’il a « pris la foudre ». « J’ai tout de suite mis des limites. Je lui ai fait comprendre que j’avais une vie à côté. » Mais cet élu avait le « luxe », selon ses dires, de ne pas avoir de lien hiérarchique avec elle. « Certains de ses collaborateurs se confiaient parfois à moi. Ils me disaient que c’était dur. » Toutefois, il tient à nuancer certains éléments, « Sira Sylla a commencé sa carrière politique dans un environnement très hostile. Les politiques du territoire ne lui ont pas fait de cadeau. Ça a forcément joué sur ses relations », pense-t-il.

Contactée, la députée Sira Sylla a estimé dans un premier temps que les différents faits énoncés étaient des « ragots ». « Je ne veux pas répondre à ça », a-t-elle expliqué refusant de répondre à nos questions par téléphone. Nous lui avons donc transmis nos questions par mail et nous sommes dans l’attente des réponses. Réponses qui seront ajoutées à l’article une fois reçues.

Des anciens collaborateurs se réunissent également et préparent un nouveau dossier. Cette fois-ci, ce n’est pas les prud’hommes qu’ils visent, mais bien le pénal.

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