En leur qualité d’auxiliaires de la justice, les administrateurs et mandataires judiciaires garantissent le déploiement de la législation relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises et assurent, à ce titre, une mission d’intérêt général confiée par le tribunal de commerce. Dans le cadre de leurs fonctions, les mandataires de justice sont susceptibles d’engager leur responsabilité civile professionnelle, notamment lorsqu’il est fait état de fautes et négligences commises dans l’exécution du mandat. Cette action en responsabilité civile professionnelle peut émaner du débiteur, des créanciers qu’il est chargé de représenter ou encore d’un tiers. Ce cas de figure se présente ainsi lorsqu’un salarié n’a pas été licencié dans le délai lui permettant de recevoir de l’AGS le paiement des indemnités relatives à la rupture de son contrat de travail, faute pour le mandataire d’avoir fait preuve de diligences afin d’identifier le nombre et le nom des salariés. Reste à savoir quelle juridiction est compétente pour statuer sur la demande ainsi formulée par le salarié.

En principe, l’action en responsabilité civile exercée à l’encontre du mandataire judiciaire relève de la compétence du tribunal judiciaire (C. com., art. R. 662-3). Toutefois, la question mérite d’être posée en des termes différents lorsque la demande tendant à la reconnaissance de la responsabilité personnelle du liquidateur intervient à titre accessoire d’une demande principale de fixation de salaires. Dans ce cas, le conseil de prud’hommes est-il admis à statuer sur la demande de responsabilité personnelle ? C’est cette épineuse question que la Cour de cassation était appelée à trancher à l’occasion d’un arrêt du 19 janvier 2022.

En l’espèce, une salariée avait saisi le conseil de prud’hommes afin d’obtenir la fixation de ses créances de salaire sur le relevé des créances de son employeur placé en liquidation judiciaire. En parallèle, elle assignait le liquidateur en garantie personnelle du paiement de ces sommes, invoquant la faute de ce dernier en ce qu’il avait omis de la licencier pendant les périodes ouvrant droit à la garantie de l’AGS. La cour d’appel retenait la compétence de la juridiction prud’homale en admettant que la demande principale inhérente à la fixation des créances salariales relevait de la compétence de cette juridiction, et ce malgré la compétence reconnue au tribunal de grande instance (aujourd’hui le tribunal judiciaire) pour statuer sur la responsabilité personnelle du mandataire liquidateur. Pour les juges d’appel, la mise en cause de la responsabilité personnelle du mandataire liquidateur n’appartient pas à l’une des matières pour lesquelles le tribunal de grande instance a compétence exclusive en application des dispositions de l’article L. 211-4 du code de l’organisation judiciaire. Un pourvoi en cassation était formé.

Dans un arrêt en date du 19 janvier 2022, la chambre sociale casse et annule la décision de la cour d’appel de Paris. Au visa des articles R. 662-3 du code de commerce et 51 du code de procédure civile dans leur rédaction applicable au litige, la Cour de cassation affirme que « la juridiction prud’homale n’est pas compétente pour connaître de la demande incidente formée par un salarié pour obtenir la condamnation du liquidateur de la société qui l’employait à garantir le paiement des sommes fixées au titre des créances salariales, au passif de la liquidation ». Quand bien même il s’agit d’une demande accessoire à la demande principale de fixation de salaires, seul le tribunal judiciaire est compétent pour statuer sur la demande de responsabilité personnelle du liquidateur.

La solution peut aisément s’entendre. Si l’on s’en tient à l’article 51 du code de procédure civile, le tribunal judiciaire connaît de toutes les demandes incidentes qui ne relèvent pas de la compétence exclusive d’une autre juridiction et, sauf disposition particulière, les autres juridictions ne connaissent que des demandes incidentes qui entrent dans leur compétence d’attribution. Á l’évidence, la demande incidente relative à la responsabilité du liquidateur s’inscrit dans le champ de compétence du tribunal judiciaire comme le prévoit l’article R. 662-3 du code de commerce. Il importe peu que l’article R. 211-4 ne fasse pas de la responsabilité personnelle du liquidateur un domaine de compétence exclusive du tribunal judiciaire. Comme le faisait valoir le pourvoi, cela n’exclut pas la consécration de compétences exclusives du tribunal judiciaire par renvoi de l’article L. 211-4 du code de l’organisation judiciaire à d’autres dispositions législatives ou réglementaires.

En définitive, la juridiction prud’homale n’était pas admise à statuer sur la demande de responsabilité personnelle du mandataire. Á noter que cette décision s’inscrit dans le sillage de la jurisprudence de la chambre commerciale qui admet depuis peu que les actions en responsabilité civile exercées à l’encontre de l’administrateur judiciaire ou du mandataire judiciaire à la liquidation sont expressément de la compétence matérielle du tribunal judiciaire (Com. 5 déc. 2018, n° 17-20.065 P, D. 2018. 2358

; ibid. 2019. 1903, obs. F.-X. Lucas et P. Cagnoli ).

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