Une nouvelle fois, une réforme sociale d’importance d’Emmanuel Macron est suspendue à une décision de justice. Après l’assurance-chômage, mise en liberté surveillée puis validée par le Conseil d’Etat, le barème des indemnités prud’homales se trouve entre les mains de la Cour de cassation. Le 11 mai, sa chambre sociale doit juger si la loi peut encadrer le montant des indemnités perçues par un salarié victime d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Comme souvent dans ces cas, le droit, le social et la politique s’entremêlent. La création de ce barème est une des mesures majeures des ordonnances sur le droit du travail du 22 septembre 2017. Avant cette date, il existait un barème indicatif. Les ordonnances le rendent obligatoire. Emmanuel Macron estime que l’absence d’un tarif connu d’avance crée de l’incertitude pour les chefs d’entreprises. Ministre de l’Economie de François Hollande (2014-2016), il introduit un mécanisme de plafond et de plancher, mais celui-ci est rejeté par le Conseil constitutionnel : il repose en partie sur l’effectif de l’entreprise, rien à voir avec le préjudice subi, tranchent les Sages.

Président de la République, Emmanuel Macron introduit un nouveau barème qui varie selon l’ancienneté. Dans un rapport publié en décembre 2021 sur les ordonnances travail, France stratégierelaie l’étude de deux universitaires, Camille Signoretto et Raphaël Dalmasso. Ils ont calculé que l’indemnité moyenne est passée de 7,9 mois de salaire à 6,6 mois depuis septembre 2017. « La baisse est la plus sensible pour les petits salaires et les anciennetés faibles, souligne Ilan Muntlak, avocat associé du cabinet 41 – société d’avocats qui défend les salariés, pour quelqu’un en poste depuis quatre ans avec une rémunération de 1 500 euros, l’indemnité maximum est de 4 500 euros. L’intérêt à agir est faible.»

Efficacité. Parallèlement, la conciliation est encouragée. Comme le souligne Julie Beaudet, avocate au barreau d’Angers sur le site Lextenso, « cette solution a des avantages tant du côté du salarié que de celui de l’entreprise. Pour les salariés, la somme perçue ne leur impose pas de carence à Pôle emploi et ne vient pas imputer leurs droits au chômage. Du côté des entreprises, l’indemnité de conciliation est exonérée de toute charge sociale. » Avocate au cabinet Auguste Debouzy, côté employeurs, Marie-Hélène Bensadoun se félicite de l’efficacité du dispositif : « Le but de ce barème était de créer une prévisibilité pour l’indemnisation des licenciements sans cause réelle et sérieuse. Il rassure en particulier les filiales françaises d’entreprises étrangères persuadées qu’on ne peut pas licencier en France. »

Vu par certains juges, cette sécurisation se fait au détriment du droit et ils refusent d’appliquer la grille prévue. Pour eux, le plafonnement des sommes versées ne prend pas en compte la réalité du préjudice, il est contraire à deux conventions internationales signées par la France. Ces textes disent à peu près la même chose : l’indemnité doit être « adéquate » ou «appropriée». Elle ne peut donc pas être limitée. Sollicitée pour une demande d’avis, la Cour de cassation estime au contraire, le 17 juillet 2019, que le dispositif français est conforme à ces règles. L’argumentaire des anti-barèmes évolue : ils avancent désormais que la justice doit se prononcer in concreto, c’est-à-dire au vu de la situation réelle du salarié et non in abstracto. « Le barème actuel donne pourtant au juge une marge de manœuvre, dit Franck Morel, conseiller social au cabinet d’Edouard Philippe au moment de la confection des ordonnances, et avocat associé chez Flichy Grangé, pour chaque ancienneté, il existe un plancher et un plafond et le montant de l’indemnité peut évoluer au sein de ce tunnel. Puisque le souci est la faiblesse des anciennetés comprises entre deux et cinq ans, pourquoi ne pas rehausser les sommes dans ces cas ? »

Les contestations du barème sont remontées à la Cour de cassation. Le 11 mai, elle va statuer comme juge en dernier ressort. Elle peut faire un choix tranché : valider le barème ou le rejeter, ce qui reviendrait à contredire son avis de 2019. Ou adopter la position médiane suggérée par son avocate générale : donner au juge la possibilité d’apprécier in concreto les réparations adéquates, dans certains cas. Le barème resterait la règle… sauf exceptions.

« Ce serait ouvrir une brèche qui redonnerait au juge la liberté d’appréciation. Cela ramènerait de l’incertitude pour les entreprises et créerait une rupture d’égalité devant la loi », estime Marie-Hélène Bensadoun. Côté salarié, ce choix ne soulève pas l’enthousiasme non plus : « La possibilité du in concreto serait d’une application compliquée pour nous, il faudrait prouver à chaque fois qu’il a lieu de l’appliquer », souligne Ilan Muntlak. Ce jugement de Salomon ne satisferait personne.

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