Les armoires du tribunal judiciaire de Marseille sont pleines à craquer et, au bas mot, il va falloir deux ans pour juger les 266 dossiers d’instruction qui attendent une date d’audience. Dans ce stock d’affaires, les ordonnances de renvoi devant le tribunal correctionnel (ORTC) les plus anciennes remontent à 2018, mais elles ont déjà donné lieu à un long travail d’un juge d’instruction – plusieurs années souvent. Les mis en examen sont libres ou ont été remis en liberté. Le gros de cette masse d’affaires en souffrance (202 ORTC)– concerne des dossiers de violences aggravées, d’escroqueries, de réseaux criminels de cambriolages ou de vols. Plutôt que suivre l’ordre chronologique de la pile, les premiers efforts de déstockage ont porté sur les dossiers d’accidents mortels de la circulation et d’agressions sexuelles.
Ce stock représente l’équivalent d’une année d’activité de la 11e chambre, celle dite « de la délinquance générale ». « C’est vertigineux, observe Cécile Pendariès, première vice-présidente adjointe du tribunal, chargée de juger ce contentieux. Nous avons au tribunal une réelle sous-capacité de jugement vu le volume de la délinquance à Marseille. » Les trois audiences hebdomadaires de la 11e absorbent aussi les dossiers jugés après une convocation par le procureur ou par un officier de police, des procédures pour lesquelles il existe un délai impératif de jugement de six ou huit mois. Un paradoxe, car il n’y a pas de date butoir pour examiner les dossiers d’instruction, par définition plus graves.
Comment juger quand plusieurs années ont passé après la fin de l’instruction ? « Il y a une sorte de délitement du dossier qui est dommageable, car, au début de l’instruction, on a mis énormément d’énergie dans ces affaires », note Mme Pendariès. Et, ajoute-t-elle, « le choix de la sanction est très complexe, la peine adaptée difficile à trouver. Si la personne a continué un parcours de délinquance, c’est moins compliqué, mais lorsque le prévenu s’est réinséré, les peines aménageables sont parfois insuffisantes pour sanctionner, par exemple, un braquage avec arme qui a été correctionnalisé ». Certaines affaires sont jugées sans prévenu, sans victime et « c’est déprimant de savoir qu’on condamne et que la victime ne le saura jamais ».
Un « plan Marshall »
Les juges d’instruction, rédacteurs de ces ORTC, confient aussi leur désarroi. « Quand on clôt une instruction et qu’on annonce à une victime que le dossier ne sera pas jugé avant quatre ou cinq ans, on a honte, on a l’impression de participer à un déni de justice », explique Clara Grande, déléguée du Syndicat de la magistrature et juge d’instruction. Selon elle, nombre de ses collègues vivent un « conflit de valeurs » : renvoyer un dossier avec un mis en examen détenu impose des délais de jugement à six mois et la tentation existerait de prolonger des détentions provisoires, alors qu’un contrôle judiciaire serait envisageable, uniquement pour éviter que le dossier rejoigne le stock en attente. Certains évoquent même une révocation du contrôle judiciaire et une réincarcération à la fin de l’instruction pour remettre le dossier sur le dessus de la pile.
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